L’histoire du Võ

Les 18 disciplines
Le Võ est à l’origine l’art de la guerre. Le mot « Võ » indique l’idée de combat, de guerre. Le Việt-Nam possède des techniques martiales spécifiques à son histoire. Colonisé pendant des millénaires, en but à des adversaires plus forts et plus nombreux, il a dû élaborer un art où, comme l’a énoncé le célèbre général du XIIIème siècle, Trân Hung Dao, il faut combattre « le long avec le court », « le beaucoup avec le peu » et où le souple gagne sur le dur. Les occupations successives du sol vietnamien ont renforcé l’aspect secret du Võ, qui a pratiquement toujours été clandestin.

Dix-huit disciplines regroupaient l’ensemble du savoir martial: combat aux pieds et poings, immobilisations, armes diverses (lance, épée, sabre, tir à l’arc, guisarme, armes de jet,…), maniement d’armes à cheval, etc., mais aussi stratégie et commandement d’armée. Ce bloc de connaissances représenterait maintenant l’ensemble des techniques militaires d’une armée (infanterie, artillerie, cavalerie, génie,…). Cela impliquait de longues études à l’issue desquelles plusieurs voies étaient possibles: devenir maître de Võ, général d’armée, garde du roi, escorteur de convois ou encore entrer dans l’anonymat.

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Les généraux qui maîtrisaient le Võ, s’ils connaissaient la stratégie, la tactique et le commandement, étaient aussi des guerriers accomplis qui combattaient au sein de la bataille et pouvaient défaire eux-mêmes de nombreux adversaires. La maîtrise de ce savoir complet alliant théorie et pratique exigeait des années et des années de travail.

Le nombre 18 ainsi que certains de ses multiples comme 72 ou 108 reviennent souvent dans l’organisation des techniques martiales. Cela vient de l’apport au Võ-Việt-Nam du Bouddhisme et du taoïsme, où ces nombres ont une valeur symbolique importante. Pensons au livre chinois d’aventures martiales « Au bord de l’Eau », qu’on nomme aussi « Les Chevaliers aux 108 Etoiles », ou au fait que les chapelets bouddhistes ont 108 grains.

En tant que discipline physique, le Võ est maintenant sorti du domaine de la guerre pour prendre une place différente dans notre société. Ainsi, l’étude des armes traditionnelles n’a plus le même objectif qu’auparavant: il ne s’agit plus d’apprendre à tuer; l’utilisation des armes entre plus dans le domaine sportif et artistique. Pareillement, le combat à mains nues n’est plus destiné à détruire l’adversaire mais à mesurer sportivement sa force et son adresse de manière amicale. Les techniques du Võ-Việt-Nam restent toutefois efficaces pour se défendre lors de situations dangereuses.

Pratique du Võ-Việt-Nam
L’enseignement de l’ancien temps se faisait par l’étude des « thao ». Le thao est une leçon de mouvements simulant un combat contre plusieurs directions que l’élève apprenait par coeur et qu’il répètait seul, équivalent à ce que les japonais appellent le « kata ». A l’origine, parfois même avant d’apprendre les gestes, l’élève mémorisait le thao sous la forme d’un poème. Puis l’entraînement incessant à la pratique des thao devait amener un automatisme qui apporterait l’application immédiate des techniques en combat réel. Et c’est ce combat qui déterminait si la leçon était sue ou non.

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Mais un thao ne pouvait être appliqué que s’il était compris. Sans théorie, pas de pratique valable, et inversement. Or, le maître expliquait peu: l’élève devait, par sa recherche, son travail et quelques indications, trouver le sens réel des mouvements. D’ailleurs, à notre époque, beaucoup de gens pratiquent les thao sans en comprendre le sens, comme une danse, et certains les enseignent dans cet état d’esprit. Or, ce sont, de tradition, des leçons de combat réel.

La technique comprenait 108 mouvements, en quelque sorte l’alphabet du Võ. De la même manière qu’on ne peut réellement écrire une langue sans connaître son alphabet, il fallait maîtriser ces 108 mouvements pour « parler la langue du Võ ».

Ensuite, il fallait comprendre les « thê » (enchaînements de mouvements) contenus dans les thao. Les thê étaient des techniques secrètes (thê bi truyên) qui organisaient les mouvements dans une stratégie dangereuse, par exemple en attaquant par surprise les points d’anatomie de l’adversaire. Cela faisait partie des « secrets de fabrique » de l’école que seul, la plupart du temps, ce maître ou l’élève initié connaissaient, et qui ne devaient pas être divulgués au dehors. Maintenant, au Võ-Việt-Nam, on étudie encore les thao, à mains nues et aux armes, ainsi que les thê, mais l’enseignement actuel comprend en plus l’étude des mouvements isolés réunis dans des séries: séries de coups de poing, de coups de pied, de tranchants de la main, etc.

Une grande partie des dix-huit disciplines se pratique encore; pieds, mains, immobilisations, projections, utilisation de la force de l’adversaire, armes traditionnelles, etc. Certaines ne s’enseignent plus comme le tir à l’arc à cheval.

Pour acquérir un niveau élevé, le programme exige encore à notre époque un temps d’étude assez long et une grande patience. Un bonne pratique à mains nues est ainsi indispensable avant de commencer l’étude des armes.

Le travail des séries et des thao est d’abord individuel même sous la forme d’entraînements collectifs. Quand l’élève a pu s’imprégner des bases, il travaille alors avec un partenaire soit en application des thao et séries, soit en étude d’auto-défense, soit en combats codifiés, libres ou de compétition.

Toutefois, le travail individuel technique doit être fait tous les jours. Il donne force, souplesse, rapidité, habileté; il durcit le corps pour résister aux attaques et procure une bonne santé.

Le Võ Tu Ve

Le Võ Tu Ve regroupe les techniques d’auto-défense du Võ-Việt-Nam. Dans le Võ Tu Ve, on cherche à utiliser les thê (enchaînements) élaborés depuis des siècles. Ils ont, en général, des noms en ancien vietnamien, très évocateurs. C’est un aspect important du patrimoine culturel du Việt-Nam. Ils ont un caractère poétique et parfois humoristique. Toutefois, les images poétiques des noms de mouvements sont aussi des indications sur la façon de les appliquer. A l’élève de chercher et de comprendre!

C’est pour cette raison que le Maître Nguyên Duc Môc indique que celui qui ne connaît pas le nom du mouvement ne connaît pas le mouvement. Poésie et gestes martiaux forment un tout qui élève la pratique au dessus d’une simple activité physique.

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Le Võ-Việt-Nam en France

Maître Nguyên Duc Môc est né en 1913 au Nord Việt-Nam dans la commune de Thôn Bô Son, province de Bac Ninh, actuel Ha Bac, sous le toit d’une chaumière construite sur une chaîne de collines nommée Son Hoan Long ou « la montagne du dragon restitué ».

Dans ces collines, les familles vivent de la culture et de l’élevage. Les légumes sont vendus au marché d’un village situé à une trentaine de kilomètres de là, les fruits sont vendus sur place.

A six ans, en 1919, il commence déjà à recevoir des leçons de Võ de son père, puis son oncle maternel l’emmène à Quang Nguyên, plus au nord, pour lui inculquer le « Võ Thuât Gia Truyên » (arts martiaux de tradition familiale) et le « Võ Nghe » (l’art militaire, la stratégie). A l’âge de 16 ans, en 1929, il devient disciple d’un maître nommé Hoang Hao Ba, venu du monastère Ma Duong Cuong au sud de la Chine. Ce maître était un marchand ambulant de plantes médicinales qu’il fabriquait lui-même et s’était fait remarquer en défaisant, seul, une cinquantaine de pillards qui avaient investi la région.

Sur la demande des parents, il prend sous son enseignement le jeune Nguyên Duc Môc et son frère, Nguyên Duc Chi, qui décédera par la suite d’un empoisonnement. Il leur enseigne le « Võ Cong Bi Truyên » ou techniques secrètes des arts martiaux de son école. Les élèves étudient l’art martial avec leur maître le plus souvent dans la forêt où ils apprennent à reconnaître les plantes médicinales, notamment celles pouvant servir à guérir des blessures. Ils s’entraînent aussi à l’abri d’une caverne appelée « l’oeil du dragon », au milieu des collines.

La jeunesse et la vie du Maître Nguyên Duc Môc est également marquée par des événements qui lui permettront de comprendre l’art martial par la pratique. De nombreux combats individuels, tant dans sa jeunesse que par la suite, lui permettront de vérifier la théorie par la pratique.

Nguyên Duc Môc étudie avec son maître jusqu’à l’âge de 26 ans, en 1939, date à laquelle il reçoit l’ordre d’embarquer pour aller combattre en France au sein de l’armée coloniale. Au bout d’un certain temps de campement, en transit au Moyen-Orient, la troupe des mobilisés coloniaux passe dans les forces françaises libres et est transférée en Afrique, à Brazzaville dans l’ancien Congo. Puis, de là, elle est de nouveau ramenée au Moyen-Orient, en Syrie et au Liban, pour passer à la grande contre-offensive qui aboutit au débarquement en France.

Après la libération de la France, Nguyên Duc Môc, démobilisé, part chercher du travail dans le civil et entre en 1947 aux usines Renault, à Boulogne-Billancourt. A maintes reprises, à la suite de provocations racistes, il est obligé de se défendre et son efficacité au combat subjugue ses collègues de travail. Ils le questionnent, pensant qu’il s’agit du judo, seul art martial connu à l’époque; il leur parle alors du Võ-Việt-Nam, art martial du Việt-Nam. Enthousiasmés, ils lui demandent de leurs apprendre ses techniques. Le Maître accepte alors, pensant ainsi populariser son pays natal. Le Võ-Việt-Nam est connu en France à partir de ce moment là, c’est-à-dire dans les années cinquante.

Les débuts de l’enseignement du Võ

Ses élèves doivent alors observer les règles de discipline exigées dans une école traditionnelle de Võ. Au début, dix personnes suivent l’entraînement; ensuite, petit à petit, des élèves venus de plusieurs ateliers, soit environ deux cents personnes. L’enseignement est donné le soir, à la sortie du travail, au bois de Boulogne à côté de l’usine.

Parallèlement, des séances d’entraînement réservées aux Vietnamiens n’appartenant pas à l’usine sont organisées à Paris pour leur permettre de se défendre en cas de danger et se maintenir en bonne santé. En 1956, à Boulogne-Billancourt, un maître Vietnamien, Tran Tu Huong, se nommant septième dan de Vat, lutte vietnamienne, et huitième dan de Võ, meurt étranglé lors d’un cours qu’il donne; il soutenait pouvoir se dégager de la deuxième technique d’étranglement du judo, portée par un élève. Ce décès jette alors le discrédit sur le Võ et sur le Việt-Nam, des articles paraissent dans les journaux mettant en doute l’existence d’un art martial vietnamien. Les élèves de Tran Tu Huong demandent alors au Maître Nguyên Duc Môc de continuer les cours dans la maison des Jeunes et de la Culture de Boulogne sur Seine. Il accepte encore, principalement pour défendre le renom du Võ et de son pays.

En se mesurant ensuite avec divers arts martiaux et sports de combat, il prouve la valeur du Võ: la boxe anglaise, la boxe française, la lutte, le judo avec un maître japonais sixième dan qui retournera peu après dans son pays. Il crée alors l’école « Sơn Long Quyền Thuật » du Võ-Việt-Nam, technique de combat de la montagne du dragon, en souvenir de la colline où il a vécu son enfance.

bataille_algerie-jpg__750x316_q85_crop_subsampling-2_upscaleEnsuite, du monde entier, des élèves viennent suivre l’entraînement en France et fondent ensuite des écoles à l’étranger.

En France, dans les années 1970, on comptait déjà près de 3’000 pratiquants de cette école à une époque où les arts martiaux étaient moins répandus qu’aujourd’hui. Des rapports constants avec le mouvement sportif et les arts martiaux au Việtnam ont été établis. En 1983, une délégation de 23 membres est partie au Viêt-nam pour un voyage d’échanges sportifs et culturels. Dix démonstrations ont été accomplies avec notamment une démonstration mémorable dans le ville natale du Maître, Ha Bac, devant 17000 spectateurs. A cette date, le Võ n’était pas encore très développé dans ce pays qui se remettait difficilement de 30 ans de guerre. Ce voyage fut même en quelque sorte un catalyseur pour un nouvel essor du Võ au Việt-Nam.

Au deuxième voyage d’une délégation, en 1989, la situation avait beaucoup évolué et les écoles d’arts martiaux fleurissaient déjà du nord au sud. Lors du voyage de 1994, une délégation internationale a pu encore plus affermir les rapports avec les différents groupes de Võ du Việt-Nam. Actuellement, des échanges sont organisés régulièrement entre les membres de la FIVV et le Việtnam.

Aujourd’hui, le Maître Nguyên Duc Môc, président d’honneur et directeur technique de la Fédération Internationale de Võ-Việt-Nam travaille encore inlassablement au développement de cet art auquel il a consacré toute sa vie. Il reste le témoin précieux d’une époque où le Võ s’inscrivait dans la réalité profonde du Việt-Nam. Né en 1913, il a ainsi pratiquement vécu le XXème siècle tissant un lien entre deux époques et deux civilisations.

Article original: Bruno Clavier (Paris) ; Paru dans la revue « Arts & Combats » en 1995